Sous les pavés, la plage ! La bande-son de mai 68.



Mai 68 ! Que n’a-t-on pas débité comme conneries à son sujet ! Tant les gauchistes qui tirent la couverture idéologique à eux seuls, que l’Etat qui, à l’occasion du cinquantenaire, a tenté de transformer cet épisode de la lutte des classes en quelque chose d’hygiénique, télégénique, presque sympathique.
Mai 68 n’est pas isolé, mais fait partie d’une vague de luttes beaucoup plus large, dans le temps et dans l’espace, et on ne peut comprendre ce printemps chaud que replacé dans son contexte réel. En gros, ça pète de partout !
Intéressons-nous à la contestation dans sa dimension chantée et faisons un petit tour au rayon 33T de l’époque.
En 1967, Jehan Jonas avec Flic de Paris, avait prévenu : attention, police ! Voir Flic de Paris, dans la rubrique Analyses.
En 1968, on chante beaucoup :
Mai 68, de Jean-Michel Caradec, chanté aussi par Maxime Leforestier.
A bas l’Etat policier de Dominique Grange résume le sentiment de millions de personnes.
Kirjuhel écrit Oh, le joli mois de mai à Paris, pour le Comité d’Action du Théâtre de L’Épée de Bois qui brocarde aussi Le bon citoyen.
Nous est parvenue une curieuse version en japonais, par Tokiko Kato :

C’est lors des grandes grèves insurrectionnelles, dans les mines du nord, en 1947-48, que le mot d’ordre CRS-SS fera son apparition.
Dès janvier, ça chauffe un peu partout, à Caen, Nantes, Nanterre, etc.
Des centaines de Comités d’Action Lycéens, des CAL, sont créés et les occupations de lycées se généralisent.
Le 22 mars, à l’université de Nanterre, une réunion est organisée contre la répression de militants gauchistes, trotskystes et maoïstes principalement. Certains anars et situationnistes dénoncent la mainmise des organisateurs staliniens, quittent la réunion et vont bomber dans toute la fac des mots d’ordres saignants, dont le célèbre : « L’humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier bureaucrate aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste ! »
Cette réunion va donner lieu à une structure, Le Mouvement du 22 mars, dont le porte-parole médiatique est Daniel Cohn-Bendit, du groupe anarchiste Noir et rouge.
Le journal stalinien L’Humanité condamne la pratique des graffiti sauvages, dont celui, en grandes lettres sur le fronton de l’Université : Ne travaillez jamais ! En effet, notre classe sociale assimile clairement, en 68, travail à exploitation.
Jacques Le Glou détourne les paroles d’une récente chanson à succès de Jacques Dutronc, Il est cinq heures, Paris s’éveille. JLG finira mal et soutiendra l’intervention américaine en Irak, en 2003.

Cette pratique du graffiti et de l’affichage sauvages va se généraliser dans les mois qui suivent. Les murs vont parler ! Parmi les centaines de slogans affichés, chaulés, gueulés, vociférés, lancés à la gueule des nantis, une sélection :
Désirer la réalité c’est bien ! Réaliser ses désirs c’est mieux !
La barricade ferme la rue, mais ouvre la voie !
N’admettez plus d’être immatriculés, fichés, opprimés, réquisitionnés, prêchés, recensés, traqués.
Ne me libère pas, je m’en charge.
Tout réformisme se caractérise par l’utopisme de sa stratégie et l’opportunisme de sa tactique.
Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi.
L’âge d’or était l’âge où l’or ne régnait pas. Le veau d’or est toujours de boue.
Les frontières… on s’en fout !
Les armes de la critique passent par la critique des armes.
Comment puis-je penser librement à l’ombre d’une chapelle ?
Jouissez sans entrave.
La révolution est incroyable parce que vraie.
Manquer d’imagination c’est ne pas imaginer le manque.
Je ne suis au service de personne (pas même du peuple et encore moins de ses dirigeants).
Autrefois, nous n’avions que le pavot. Aujourd’hui le pavé.
On ne revendiquera rien, on ne demandera rien, on prendra, on occupera.
Elections, piège à con !
Regarde ton travail, le néant et la torture y participent.
On peut voir un grand nombre d’affiches sur ce site :
http://chantsdeluttes.free.fr/

– 3 mai, première nuit d’affrontements à Paris.
– 6 mai, des dizaines de milliers d’émeutiers construisent les premières barricades. La défense s’organise avec pavés, lance-pierres et cocktails molotov. Les heurts sont très violents avec la police.
La presse bourgeoise se déchaîne. L’Aurore, le 7 mai : « On aperçoit aux côtés des manifestants des bandes de blousons noirs armés de barres de fer, qui sont descendus des portes de Paris pour prêter main-forte aux étudiants. »
En fait, se joignent aux étudiants, des milliers de lycéens, d’ouvriers, de chômeurs, etc. Mai 68 n’est pas un mouvement « étudiant », c’est un mouvement de lutte sociale dans lequel les étudiants sont la minorité.
Ici ou là des ouvriers commencent à se mettre en grève.
La CGT et le PC désavouent le mouvement et parlent de « provocateurs ». Ils vont tout faire pour séparer les ouvriers des étudiants, en crachant sur ceux des nôtres qui affrontent la police.
L’Etat qui cherche à négocier, qui a besoin d’interlocuteurs, avec des revendications précises pour pouvoir y répondre partiellement et éteindre ainsi l’incendie révolutionnaire… va trouver les leaders gauchistes : Sauvageot, président de l’UNEF, Geismar, président du SNE-Sup et Cohn-Bendit. Pour tous ces gens-là mai 68 sera un tremplin pour leur carrière de politicien, surtout Cohn-Bendit.
Dominique Grange chante Cogne en nous le même sang et Grève illimitée, mais beaucoup se moquent des gauchistes en entonnant La ligue à Léon !

– 10 mai, nouvelle nuit d’émeutes. Mais là, petite erreur de la police qui laisse construire des barricades qu’elle aura du mal à reconquérir. Toute une partie du Quartier latin est protégée par une soixantaine de barricades.
L’affrontement est d’une violence inouïe. Toute la nuit, les émeutiers repoussent les assauts de la police. Au petit matin, la police l’emporte. On compte des centaines de blessés graves et cinq cents arrestations.
La police, durant la nuit, a empêché les secours de venir recueillir les blessés. Il est probable qu’il y ait eu plusieurs morts cette nuit-là, que la police aurait réussi à camoufler en accidents de la route, dans les jours qui suivent. Lors de mai-juin 68, en plus des six morts officielles, on parle d’une trentaine de disparus. Mais… il n’y a aucune preuve.
L’affiche de Siné, ci-dessous, illustre cette réalité que tous à l’époque connaissaient !

La population française est globalement choquée de la sauvagerie policière.
Des émeutes ont aussi lieu, cette nuit-là, à Nantes, Bordeaux, Grenoble, Toulouse, Lille et Strasbourg.
Evariste chante La révolution et La faute à Nanterre.
Un puissant mouvement de grèves et d’occupations démarre en France, avec parfois séquestration des directions… bientôt, il y a dix millions de grévistes. Sur 50 millions d’habitants, ça signifie que la quasi totalité des travailleurs est en grève ! L’économie française est paralysée.

La tactique des syndicats pour casser le mouvement va consister à isoler chaque grève et avancer des revendications strictement sectorielles et professionnelles.
Le PC et la CGT multiplient les condamnations des grèves sauvages et continuent de baver sur les « provocateurs » et autres « irresponsables », qu’ils appellent « la pègre ».
Dominique Grange leur répond avec La pègre.
– 24 mai, nouvelle nuit d’émeutes un peu partout en France.
– 25 mai : l’Etat doit absolument casser ce mouvement de destruction du vieux monde : début des négociations syndicats-gouvernement.
– 27 mai, au matin, les célèbres accords de Grenelle sont décidés. Des miettes sont accordées aux ouvriers, dont une augmentation des salaires de 10%, mais… surprise !, partout les ouvriers rejettent ces accords et sifflent leurs délégués syndicaux. Partout on vote la continuation de la grève !
Dans la pratique ces accords ne seront pas appliqués ou bien au compte goutte et il faudra d’autres grèves pour les imposer… et l’inflation mettra moins d’un an pour rattraper ces maigres augmentations.
– 29 mai : De Gaulle se met d’accord avec l’armée, stationnée en Allemagne, pour noyer la révolte dans le sang, s’il le faut.
– 30 mai : De Gaulle dissout l’Assemblée nationale et annonce des élections législatives pour la fin juin. Aussitôt, 300.000 bourgeois défilent aux Champs-Elysées, en chantant la Marseillaise. Chacun son répertoire ! Cette manifestation sera encadrée par le SAC, Service d’Action Civique, une milice patronale qui s’occupera aussi de briser certaines grèves par la force.
On chante beaucoup en mai-juin 68. Voir La vie s’écoule, la vie s’enfuit, dans la rubrique Analyses. On chante aussi la Chanson du C.M.D.O. (Conseil pour le maintien des occupations) qui demande des fusils pour gagner la bataille sociale !

– 6 juin, il y a déjà un mouvement de reprise du travail. Certaines grèves se maintiendront parfois jusqu’à fin juin. L’écœurement est total chez les ouvriers.
– 7 juin, violents affrontements à l’usine Renault de Flins. Le service d’ordre de la CGT se bat contre des milliers d’étudiants, venus prêter main-forte aux ouvriers.
– 10 juin, un lycéen 17 ans, poursuivi par les flics, se noie dans la Seine, à Flins.
– 11 juin, à Paris, nouvelle nuit d’émeutes, affrontements, barricades.
Ce jour-là, à Sochaux, deux ouvriers de 24 et 49 ans sont tués par les CRS.
– 14 juin, évacuation de la Sorbonne. Presque partout les ouvriers reprennent le travail, la mort dans l’âme. Un exemple :

Ce que mai 68 n’a pas été, c’est un mouvement strictement « étudiant ». Nous avons vu toute la classe ouvrière se rebeller contre la non-vie, la société de l’argent, du travail et de l’ennui !
Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations, publié dès juillet 1968 par un participant direct de la lutte, René Viénet, est une lecture indispensable pour comprendre mai 68.
Un gamin de seize ans, Renaud, ose chanter Crève salope!
En 1969, on tente de tirer les leçons, de se souvenir.
Une belle chanson illustre l’espoir de voir disparaître le vieux monde. Elle est écrite et chantée par Lise Médini, c’est Charognes, tandis que Jean Sommer essaie de secouer les combattants avec Réveillez-vous.

Claude Nougaro clame son fameux Paris Mai, qui sera interdit à la radio pendant des années.
Une des plus célèbres chansons de cette période est certainement Sans la nommer, de Georges Moustaki, reprises de multiples fois:

Ca continue en 1970, avec Imaste dio, de Mikis Théodorakis. Version française de Georges Moustaki, Nous sommes deux.
En 1972, Colette Magny chante Répression et fustige la « douce majorité silencieuse, pas d’opinion, pas de délit d’opinion, pas d’répression. »
La lutte est internationale. En 1973, Fabrizio De André nous propose Canzone del Maggio (Chanson de mai).
En 1978, Catherine Ribeiro chante Ne rêvez pas, de Jacques Prévert, qu’on peut écouter dans la rubrique Analyses : « Ne vous reposez pas/Le travail repose sur vous. »
En 1978, Annie Nobel chante Mai 68 et en 2018, Marylou et Claude Noras Mai 68 ya 50 ans… maintenant la mémoire de cette lutte importante.
Il y a bien sûr beaucoup d’autres chanteurs qui ont célébré d’une manière ou d’une autre ces deux mois de lutte, qui ont chanté à contre courant du rouleau compresseur de la normalité.
Une conclusion ? Facile : Une-seule-solution-la-révolution !


Paroles

Cogne en nous le même sang.

Je sais que nous pensons de même
Et posons les mêmes problèmes
Que nous nous battions à côtés
Ou que nous soyons séparés

Que nous deux, nous serrant les poings
De voir qu’un homme est licencié
Parce qu’il il ose se révolter
Contre le petit chef qui l’opprime

Nous éprouvons la même haine.
Contre l’ordre et l’autorité.
Que les mômes dans les lycées.
Qui luttent et se font matraquer

Parce qu’ils refusent l’enseignement
Qui prétend que la liberté
C’est leur avenir stérilisé
Dans la légalité bourgeoise

Nous ne pouvons pas nous taire
Quand un travailleur algérien
Se fait tabasser par les flics
Et insulter bien pire q’un chien

Et qu’il faut pour que ça s’arrête
Qu’on soit des milliers dans la rue
Français, immigrés, tous unis.
Pour que les flics ne s’en relèvent plus

Nous faisons partie toi et moi
Tous ces gens qui ont en a marre.
De s’éreinter à travailler
Au profit d’une minorité

HLM, cité dortoir.
Foyer, bidonville ou corons
Vous qui parlez du droit de vivre
Vous nous faites vivre en prison

Je sais que si nous nous aimons
A travers le même combat
C’est que nos révoltes sont sœurs
Et cogne en nous le même sang

Un sang qui bien sûr coulera
Versé pour la cause du peuple
Pour qu’un jour tous les travailleurs
S’unissent et prennent le pouvoir
Le pouvoir, le pouvoir, le pouvoir !

Chanson du CMDO

Rue Gay-Lussac, les rebelles
N’ont qu’les voitur’s à brûler.
Que vouliez-vous donc, la belle,
Qu’est-ce donc que vous vouliez ?

Des canons, par centaines.
Des fusils, par milliers.
Des canons, des fusils,
Par centaines et par milliers.

Dites-moi comment s’appelle
Ce jeu-là que vous jouiez ?
La règle en paraît nouvelle :
Quel jeu, quel jeu singulier !

Des canons, par centaines.
Des fusils, par milliers.
Des canons, des fusils,
Par centaines et par milliers.

La révolution, la belle,
Est le jeu que vous disiez.
Ell’ se joue dans les ruelles,
Ell’ se joue grâce aux pavés.

Des canons, par centaines.
Des fusils, par milliers.
Des canons, des fusils,
Par centaines et par milliers.

Le vieux monde et ses séquelles,
Nous voulons les balayer.
Il s’agit d’être cruels ;
Mort aux flics et aux curés.

Des canons, par centaines.
Des fusils, par milliers.
Des canons, des fusils,
Par centaines et par milliers.

Ils nous lancent comme grêle
Grenades et gaz chlorés.
Nous ne trouvons que des pelles
Et couteaux pour nous armer.

Des canons, par centaines.
Des fusils, par milliers.
Des canons, des fusils,
Par centaines et par milliers.

Mes pauvres enfants, dit-elle,
Mes jolis barricadiers,
Mon cœur, mon cœur en chancelle,
Je n’ai rien à vous donner.

Des canons, par centaines.
Des fusils, par milliers.
Des canons, des fusils,
Par centaines et par milliers.

Si j’ai foi en ma querelle
Je n’crains pas les policiers.
Mais il faut qu’ell’ devienn’ celle
Des camarad’s ouvriers.

Des canons, par centaines.
Des fusils, par milliers.
Des canons, des fusils,
Par centaines et par milliers.

Le gaullisme est un bordel,
Personne n’en peut plus douter.
Les bureaucrat’s aux poubelles :
Sans eux on aurait gagné.

Des canons, par centaines.
Des fusils, par milliers.
Des canons, des fusils,
Par centaines et par milliers.

Sans la nommer

Je voudrais, sans la nommer,
Vous parler d’elle
Comme d’une bien-aimée,
D’une infidèle,
Une fille bien vivante
Qui se réveille
A des lendemains qui chantent
Sous le soleil.

C’est elle que l’on matraque,
Que l’on poursuit que l’on traque.
C’est elle qui se soulève,
Qui souffre et se met en grève.
C’est elle qu’on emprisonne,
Qu’on trahit qu’on abandonne,
Qui nous donne envie de vivre,

Qui donne envie de la suivre
Jusqu’au bout, jusqu’au bout.

Je voudrais, sans la nommer,
Lui rendre hommage,
Jolie fleur du mois de mai
Ou fruit sauvage,
Une plante bien plantée
Sur ses deux jambes
Et qui traîne en liberté
Où bon lui semble.

C’est elle que l’on matraque,
Que l’on poursuit que l’on traque.
C’est elle qui se soulève,
Qui souffre et se met en grève.
C’est elle qu’on emprisonne,
Qu’on trahit qu’on abandonne,

Qui nous donne envie de vivre,
Qui donne envie de la suivre
Jusqu’au bout, jusqu’au bout.

Je voudrais, sans la nommer,
Vous parler d’elle.
Bien-aimée ou mal aimée,
Elle est fidèle
Et si vous voulez
Que je vous la présente,
On l’appelle
RÉVOLUTION PERMANENTE.


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Sous les pavés, la plage ! La bande-son de mai 68.

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