Au 19ème siècle, en Allemagne, furent découverts les précieux manuscrits des Carmina burana. Ces pièces en partie profanes datent du 13ème siècle, et développent des thèmes critiques de l’Eglise, contre la corruption des puissants (déjà !) et pour les plaisirs de la vie ! Elles sont clairement écrites sous l’influence subversive des Goliards.
En 1330, un certain Juan Ruiz, Archiprêtre de Hita, écrit, partiellement en prison, le Libro de buen amor, une fresque qui dénonce le pouvoir de l’argent, en particulier dans le morceau qui nous intéresse, Lo que puede el dinero (ce que peut l’argent).
En 1607, Shakespeare publie Timon d’Athènes, une pièce dans laquelle est tirée cette formidable citation qui reprend, en substance, la parole de Lo que puede el dinero :
« Or précieux, or jaune et luisant, en voici assez pour rendre le noir blanc, le laid beau, l’injuste juste, le vil noble, le vieux jeune, le lâche vaillant ! Qu’est-ce cela, ô dieux immortels ? Cela, c’est ce qui détourne de vos autels vos prêtres et leurs acolytes. Cet esclave jaune bâtit et démolit vos religions, fait bénir les maudits, adorer la lèpre blanche, place les voleurs au banc des sénateurs et leur donne titres, hommages et génuflexions. C’est lui qui fait une nouvelle mariée de la veuve vieille et usée. Allons, argile damnée, catin du genre humain. »
Nous connaissons cet extrait, grâce à Karl Marx, qui l’a utilisé dans Le Capital (livre premier, chapitre de l’argent et la monnaie), pour démontrer que le vrai dieu, c’est l’argent qui dissout toutes les relations sociales antérieures. In Gold we trust !
La chanson, elle, nous est parvenue grâce à Paco Ibanez, qui l’a chantée en 1968, à Madrid, en plein franquisme… avant de se faire censurer.
Les Goliards et Juan Ruiz font partie de cette longue famille d’hérétiques qui mettent en avant la Vie contre l’obscurantisme, la superstition et la violence sociale des églises, que va rejoindre, au 18ème siècle, leur frère, le curé Meslier, qui, dans son Testament, affirmait, en cet été 1729 :
« Communiquez-vous secrètement vos pensées et vos désirs ! Conspirez ensemble pour vous délivrer de ce commun esclavage ! Répandez partout des écrits semblables à celui que je vous laisse ! Au lieu de combattre les uns contre les autres pour le choix des tyrans, joignez-vous tous ensemble pour les détruire ! Retenez vous-mêmes par vos mains toutes les richesses que vous produisez et arrêtez de servir les puissants ! Rendez esclaves vos tyrans ! Opprimez tous vos oppresseurs ! Rejetez tous vos prêtres, tous vos moines ! (…) Abolissez entièrement la tyrannie et le culte superstitieux des dieux ! Combattez pour la liberté publique et le partage des fruits de votre travail ! »
Paroles
Hace mucho el dinero, mucho se le ha de amar
al torpe hace discreto y hombre de respetar
hace correr al cojo y al mudo le hace hablar
Quien no tiene dinero no es de sí señor
También al hombre necio y rudo labrador
dineros le convierten en hidalgo doctor
cuanto más rico es uno más grande es su valor
Quien no tiene dinero no es de si señor
Y si tienes dinero tendrás consolación
placeres y alegrías y del Papa ración
comprarás paraíso, ganarás la salvación
Donde hay mucho dinero hay mucha bendición
Él crea los priores, los obispos, los abades
arzobispos, doctores, patriarcas, potestades
a los clérigos necios da muchas dignidades
De verdad hace mentiras, de mentiras hace verdades
Él hace muchos clérigos y muchos ordenados
muchos monjes y monjas, religiosos sagrados
el dinero les da por bien examinados
a los pobres les dice que no son ilustrados
Yo he visto a muchos curas en sus predicaciones
despreciar al dinero, también sus tentaciones
pero al fin por dinero otorgan los perdones
absuelven los ayunos y ofrecen oraciones
Dicen frailes y clérigos que aman a Dios servir
mas si huelen que el rico está para morir
y oyen que su dinero empieza a retiñir
por quien a de cogerlo empiezan a reír
L’argent fait beaucoup, on se doit de l’aimer beaucoup;
le sot devient discret et homme de respect;
il fait courir le boiteux et fait parler le muet ;
celui qui n’a pas de mains veut bien le prendre.
Aussi l’homme nigaud et le rustre laboureur
l’argent les convertit noble docteur;
plus riche est une personne, plus grande est son importance,
celui qui n’en pas, n’est pas un Monsieur.
Et si tu as de l’argent, tu auras: consolation,
plaisirs et joies et du Pape une ration,
Tu achèteras Paradis, tu gagneras la rédemption
Où il y a beaucoup d’argent, il y a beaucoup de bénédiction.
Il crée les prieurs, les évêques, les abbés,
archevêques, médecins, patriarches, pouvoirs,
aux religieux idiots ils donnent beaucoup de dignités,
des vérités en fait de mensonges, des mensonges en fait de vérités.
Il fait de nombreux religieux et beaucoup d’ordonnés,
beaucoup de moines et de nonnes, religieux sacrés,
l’argent les donne pour de bon examinateurs,
on dit des pauvres qu’ils ne sont pas éclairés.
J’ai vu beaucoup de curés dans leurs prédications
déprécier l’argent, aussi ses tentations,
mais finalement, pour de l’argent, ils octroient le pardon,
ils exonèrent les jeunes et offrent des prières.
Ils se disent frères et clercs qui aiment servir Dieu
mais s’ils sentent que le riche est mourant,
et ils entendent que leur argent commence à vibrer,
a qui doit le prendre, ils commencent à se disputer.
En résumé je le dis, comprends bien:
l’argent est dans le monde le grand agitateur,
Il rend Seigneur le serf et serf le Seigneur
toutes choses du siècle se fait pour son amour.