Leny Escudero


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Le papa de Leny Escudero est gitan et sa maman basque. Ils vivent en Espagne et participent à la révolution de 1936 à 1939, puis fuient la terreur franquiste vers la France et ses camps de concentration ! Petit rappel, il y aura une dizaine de milliers de morts dans ces camps français. Voir Espagne 36 dans la rubrique Divers.

Après une vie de débrouille, Leny se lance dans la chanson et obtient un immense succès, en 1962, avec la jolie Pour une amourette.

Les flics n’aiment pas les jeunes ni ceux dont la gueule ne leur revient pas, les rebeus, les renois, les manouches. Ils les frappent volontiers. Leny en fera les frais… et une chanson, en 1984, avec Le suspect :

Toutes les personnes d’origine étrangère connaissent cette triste réalité du contrôle au faciès.

En 1974, lui l’autodidacte, chante une chanson à la gloire de l’école buissonnière, Le cancre. On pense aussitôt au poème éponyme de Prévert (dans Paroles, 1946) qu’on relira volontiers ci-dessous.

Leny Escudero a longtemps été un compagnon de route du stalinisme, ce qui n’est pas notre tasse de thé. Nous avons quelque peu développé cette question avec notre texte sur Jean Ferrat, dans la rubrique Divers.

En tout cas, on appréciera la sincérité de Leny, sa conviction, même quand il confond communisme et stalinisme ! La chanson Le poing et la rose, en 1974, exprime cette ambiguïté : paroles de combat et d’espoir… mais le symbole de la rose, non, décidément ça ne passe pas, le PS serait trop content !

Leny Escudero a toujours une sensibilité tournée vers l’enfance. En 1977, dans Fils d’assassin, il pointe le fait que les fils de rien, de prolos, de perdants, d’humiliés, avant de naître sont déjà condamnés, pas comme « … ce fils de physicien qui a inventé la bombe à neutrons, la mitrailleuse, le canon, il est fils de génie et demain, il sera génie lui-même, pour le plus grand bien du genre humain… »

En 1980, dans la sensible Grand-père, il tente de s’en inventer un. En 1971, il avait aussi écrit une chanson d’enfants et de grand-père, avec Le vieux Jonathan : « Il m’a dit, petit, ris encore longtemps/Car dans ma chienne de vie/Je n’ai eu de gratuit/Que le rire des enfants. »

En 1974, dans Le pauvre diable il met en avant la nécessité pour la société d’un bouc émissaire.

Et puis, en 1978, c’est la saisissante La grande farce :


Paroles

Le cancre, Jacques Prévert.

Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le cœur
Il dit oui à ce qu’il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés.

Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges.

Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.


La grande farce

Enfin, je vais être ce que tu as voulu
Voici le jour des jours, une autre humanité
Ils vont enfin savoir pourquoi ils sont venus
Et le prix de la vie et de l’éternité

Je vais marcher la tête haute, me tenir droit
Tu peux me regarder tu seras fier de moi
Je vais chanter ton nom tout au long du chemin
Pour leur apprendre à vivre, leur montrer le divin

Ils peuvent me frapper et me jeter des pierres
Ils peuvent rire de moi, de ma bouche tordue
C’est vrai que ça fait mal sur les reins la lanière
C’est vrai que ça fait mal qu’ils me crachent dessus

Mais surtout n’aie pas peur, aie confiance en moi
Je sais je vais tenir parce qu’il faut que je tienne
Et chasser le désordre pour que ton ordre vienne
Pour qu’ils sachent enfin qu’ils ont besoin de toi

Mais ça fait mal tu sais, ça tourne dans ma tête
Mais ils frappent trop fort, je n’en peux plus déjà
Et ils chantent, ils rient, ils se croient à la fête
Parce qu’ils ne savent pas, parce qu’ils ne savent pas

Je ne sais pas non plus et je ne comprends pas
Mais je ne renie rien, j’ai accepté le rôle
Mais je ne savais pas le prix de chaque pas
Ton dessein est trop grand, trop grand pour mes épaules

Arrêtons maintenant et dis-leur s’il te plait
Oui dis-leur qu’ils me laissent m’en retourner chez moi
Surtout ne m’en veux pas, j’ai essayé tu sais
Le chemin est trop long et trop lourde la croix

Oh, viens je t’en supplie, viens pour que tout s’arrête
Et dis-leur maintenant ce qu’ils doivent savoir
Dis-leur tout si tu veux, mais maintenant arrête!
Je vais pleurer, je vais crier, j’ai peur du noir

Mais dis-leur maintenant, dis-leur que tu es Dieu
Dis-leur que tu es bon, généreux et puissant
Garde pitié de moi et regarde mes yeux
Deux trous d’éternité et de larmes de sang

Mais tu n’écoutes rien du haut de ton empire
Mais je suis à leurs pieds et je vais te maudire
Arrête maintenant! Arrête, je n’en peux plus!
Je vais te faire honte et me pisser dessus

Non ça n’est pas Judas qui m’a trahi le plus
Même trente deniers, la pauvreté est garce
Judas criait famine, Judas marchait pieds nus
Mais toi, dis, toi, c’est pour la sainte farce!

Je voudrais maintenant, je voudrais qu’une femme
Me fasse enfin crier, tout comme au premier jour
Et tant pis pour l’enfer et tant pis pour mon âme
Mais avant de mourir, mourir aussi d’amour

Tu m’as fait fils de Dieu, sur l’épaule une croix
Et moi, je voulais vivre et avoir des enfants
Et vieillir près d’une femme qui me dirait parfois
«Tu t’en souviens dis, tu t’en souviens d’avant?»

Enfin tu as gagné, enfin je me résigne
Je vais dire les mots, tous les mots que tu veux
Je vais jouer le jeu, je vais faire le signe
Pour que le feu enfin me délivre du feu

Je vais parler d’espoir et de miséricorde
Dire qu’il n’y a que toi quand on parle d’amour
Oui, mais je t’en supplie qu’ils tirent sur la corde
Et qu’ils frappent plus fort et qu’ils frappent plus lourd

Je sais que c’est la fin, que tu ne viendras pas
Moi je suis jeune encore et je suis vieux déjà
La parole donnée, c’est vrai j’ai cru en toi
Mais tu veux qu’on te craigne et tu ne m’aimes pas

Regarde-moi mon père, j’ai rempli mon office
Je t’ai suivi en tout, jusqu’au dernier supplice
Mais je crie maintenant, mais je crie maintenant
Sois maudit, sois maudit jusqu’à la fin des temps!

Oh non, je te le jure, je n’ai pas dit cela
Oh non, je t’aime, je t’aime et je n’aime que toi
Mais j’ai si peur, mais j’ai si peur et j’ai si froid!
Ainsi parlait Jésus sur son chemin de croix.

 


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