Cette chanson a une longue histoire. Dans La Complainte des tisserandes, dans la rubrique Analyses, nous avons mis en perspective notre lutte commune historique contre l’exploitation et la misère. Nous complétons cette approche en détaillant la lutte des ouvriers tisserands, au 19ème siècle, en France et en Allemagne, en lien avec celle en Angleterre, en 1811-12, mouvement connu comme celui des Luddistes, qui brisèrent les métiers à tisser qui leur enlevaient le pain de la bouche.
Lire, entre autres, La révolte luddite : briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation, de Kirkpatrick Sale, en 1995, aux éditions L’Echappée.
Et pourquoi ne pas faire un lien avec tous les dépossédés du monde entier, à toutes les époques, contre ce qui les martyrise quotidiennement ?
Voir, par exemple, La marche à suivre, dans la rubrique Analyses.
En France, les luttes farouches de ces prolétaires, connus sous le nom de canuts, avaient comme devise :
Vivre en travaillant ou mourir en combattant !
Voici le commentaire de wikipédia : « Le Chant des canuts ou Les canuts est une chanson française écrite par Aristide Bruant en 1894 en hommage aux travailleurs de la soir de Lyon, à l’origine de plusieurs insurrections dans la première moitié du XIXème siècle (1831, 1834 et 1848). »
Voir Aristide Bruant, dans la rubrique Divers.
Parmi beaucoup, écoutons l’interprétation d’Yves Montand, qui aura le mérite de remplacer « la tempête », par « la révolte », pour une finale plus vigoureuse !
https://www.youtube.com/watch?v=Te2PpgGvxhs
Aristide Bruant a été influencé par La Chanson du linceul ou Goualante des Tisserands, chanson anarchiste et antimilitariste écrite en 1893 par Maurice Vaucaire.
Ecoutons l’interprétation de Claude Reva, dans une intéressante compilation de chants de révolte, parue en 2008, La France révoltée: Chants ouvriers de lutte (1880-1905) (Collection « Les chants de la révolution ») :
https://www.youtube.com/watch?v=gYGH6l7yeYo
Ces deux derniers chants ont d’évidence été influencés par Heinrich Heine (1797-1856), poète allemand, qui, en 1844, écrit un merveilleux poème, Les tisserands de Silésie. Voir en annexe, le texte original et sa traduction en français.
Mais il existe une autre chanson révolutionnaire dont Maximilien Rubel (le meilleur traducteur en français de Marx) traduit deux strophes : « Gredins que vous êtes, engeance de Satan /Démons de l’enfer/Vous dévorez le bien des pauvres/Que la malédiction soit votre lot !/Vous êtes la source de toutes les géhennes /Qui accablent ici le pauvre/C’est vous qui, de sa bouche/Lui arrachez jusqu’au pain sec. »
Cet extrait est tiré du bihebdomadaire allemand Vorwärts ! (En avant !) des 7 et 10 août 1844, dans un long article de Marx : « Gloses critiques en marge de l’article « Le Roi de Prusse et la réforme sociale par un Prussien« .
Ce sont les seules traces que nous avons de cette chanson… avis à nos lecteurs avisés qui auraient d’autres infos !
Les Manuscrits de 1844, de Karl Marx, restent une lecture incontournable, dénoncée par les staliniens.
Une dernière pensée pour tous ceux qui luttent, au péril de leur vie, de leur santé, de leur confort… à l’instar de ces prolétaires, en Haute-Silésie, en août 1919. Heinrich Heine n’est pas mort !
Chantons pour nous souvenir, pour soutenir nos résistances actuelles, pour tisser le linceul du vieux monde !
Paroles
Le chant des Canuts – 1894
Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d’or.
Pour chanter Veni Creator
Il faut avoir chasuble d’or.
Nous en tissons pour vous, grands de l’Église,
Et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemise.
C’est nous les canuts,
Nous sommes tout nus.
Pour gouverner il faut avoir
Manteaux et rubans en sautoir.
Pour gouverner il faut avoir
Manteaux et rubans en sautoir.
Nous en tissons pour vous, grands de la terre,
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre.
C’est nous les canuts,
Nous allons tout nus.
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde
Car on entend déjà la révolte qui gronde.
C’est nous les canuts,
Nous n’irons plus nus.
Die schlesischen Weber – 1844
Im düstern Auge keine Träne,
Sie sitzen am Webstuhl und fletschen die Zähne:
Deutschland, wir weben dein Leichentuch,
Wir weben hinein den dreifachen Fluch –
Wir weben, wir weben!
Ein Fluch dem Gotte, zu dem wir gebeten
In Winterskälte und Hungersnöten;
Wir haben vergebens gehofft und geharrt,
Er hat uns geäfft und gefoppt und genarrt –
Wir weben, wir weben!
Ein Fluch dem König, dem König der Reichen,
Den unser Elend nicht konnte erweichen,
Der den letzten Groschen von uns erpreßt
Und uns wie Hunde erschießen läßt –
Wir weben, wir weben!
Ein Fluch dem falschen Vaterlande,
Wo nur gedeihen Schmach und Schande,
Wo jede Blume früh geknickt,
Wo Fäulnis und Moder den Wurm erquickt –
Wir weben, wir weben!
Das Schiffchen fliegt, der Webstuhl kracht,
Wir weben emsig Tag und Nacht –
Altdeutschland, wir weben dein Leichentuch,
Wir weben hinein den dreifachen Fluch,
Wir weben, wir weben!
Les tisserands de Silésie – 1844
Ils sont à leurs métiers, sombres, les tisserands,
Sans larme dans les yeux, mais les crocs menaçants :
Nous tissons, Allemagne, nous tissons ton linceul,
Nous y tissons ces mots : « Trois fois maudits soient-ils ! »
« Nous tissons, nous tissons ! »
Maudit soit-il ce Dieu que nous avons prié
Dans le froid de l’hiver, quand nos ventres criaient ;
Vainement nous avons tenu et espéré,
Lui nous a bafoués et raillés et nargués
« Nous tissons, nous tissons ! »
Maudit soit-il ce roi, ce roi des possédants,
Que n’a rendu moins dur aucun de nos tourments,
Qui nous a fait cracher le denier de nos sous,
Et maintenant nous fait tirer comme des loups
« Nous tissons, nous tissons ! »
Maudite soit encore l’hypocrite patrie,
Où ne prospèrent que la honte et l’infamie,
Où l’on étête tôt la moindre fleur venue,
Où de fanges pourries la vermine est repue
« Nous tissons, nous tissons ! »
La navette vole, le métier crie,
Nous tissons prestement et le jour et la nuit –
Vieille Allemagne, nous tissons ton linceul,
Nous y tissons ces mots : « Trois fois maudits soient-ils ! »
« Nous tissons, nous tissons ! »
Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre, in « Anthologie bilingue de la poésie allemande. » Editions Gallimard (La Pléiade), 1995.
La chanson du linceul – 1893
C’est nous qu’on appell’ la canaille,
Nous somm’s à bout, nous sommes fourbus,
Nous crevons, nous n’en pouvons plus,
Vaut mieux que not’ carcasse s’en aille !
Avec nos fill’s et nos garçons,
C’est not’ linceul que nous tissons !
C’est not’ linceul (bis)
Que nous tissons !
A bas l’patron et la patrie
Qui nous tiennent sous les barreaux !
Les contre-maîtr’s sont nos bourreaux.
Faut pas qu’on souffre ni qu’on crie !
Avec nos filles et nos garçons,
C’est leur linceul que nous tissons !
C’est leur linceul (bis)
Que nous tissons !
Votre armée est notre ennemie,
Les sergents en sont les geôliers ;
Nous tisserons sur nos métiers
Ton linceul, ô vieille patrie !
Avec nos filles et nos garçons,
C’est ton linceul que nous tissons !
C’est ton linceul (bis)
Que nous tissons !