C’est en 1911, juste avant de mourir, que Gaston Couté écrit cette redoutable chanson. Il fait parler un capitaliste qui s’adresse aux futurs soldats :
« Aux Armes, les enfants ! Formez vos bataillons/Marchez ! Marchez ! Nous récolterons/Dans le sang des sillons ! »
Cette diatribe contre les saloperies patriotardes se chante sur l’air de l’autre hymne à la guerre, tant apprécié des vrais patriotards.
L’axe de la chanson est limpide : les guerres sont très profitables au système capitaliste dans son ensemble. Nous y reviendrons, mais d’abord passons par la caserne, centre du dressage de la jeunesse turbulente. Voici ce qu’écrit Libertad, dans le journal L’Anarchie, le 26 octobre 1905 :
« La caserne est l’étable du bétail patriotique. Il sort de là un troupeau qui est prêt à former le bétail électoral. L’armée est l’instrument redoutable dressé par les gouvernements contre les individus ; la caserne est la canalisation des forces humaines de tous au profit de quelques-uns.
On y entre homme, on y devient soldat, on en sort citoyen. »[1]
Cette Marseillaise est mi-chantée, mi-parlée, projetée à la gueule des naïfs… le capitaliste s’enflamme, traîne dans la boue la multitude, se fout de la gueule de la masse des citoyens, rangs serrés derrière leurs politiciens préférés, prêts déjà à passer à la casserole. Dociles.
« Une nouvelle guerre ? On s’en fout, puisque/C’est vous qui marcheriez encore/Pour défendre nos coffres-forts. »
Quelle lucidité ! Quelle clou enfoncé dans le patriotisme, français en l’occurrence, mais qui a une validité internationale ! La preuve explosera trois ans plus tard. Gaston Couté est toujours resté sur des positions révolutionnaires et c’est d’ailleurs pour cela qu’il est mort dans la misère, à 30 ans.
Le mot naïf n’est pas assez fort pour qualifier les citoyens qui croient encore au nationalisme, alors que les industriels, les financiers, les politiciens… s’en moquent bien. La guerre est d’abord et surtout une excellente affaire pour eux. Libertad le disait déjà en 1906 : « Toutes les guerres sont criminelles et ne profitent qu’à la ploutocratie qui nous gouverne et aux agioteurs qui nous exploitent (…) La Patrie est douce aux riches, inexorable aux malheureux. »
Les capitalistes n’ont pas de patrie, eux non plus, ils (nous) mangent à tous les râteliers. Un exemple ? Tout le monde sait que l’effort de guerre nazi vient en partie de capitaux américains.
Enfin, et ce n’est pas banal, La Marseillaise des requins crache sur le colonialisme avec force :
« Allez, guerriers pleins de courage/Petits fils de la liberté/Allez réduire en esclavage/De pauvres Arbis épouvantés. »
Les guerres sont toujours des guerres contre nous, les exploités. Alors, oui, encore une fois, avec Gaston Couté :
A bas toutes les guerres et ceux qui en profitent !
[1] Lire absolument Et que crève le vieux monde !, sur la vie et l’activité d’Albert Libertad, édité par Mutines Séditions, en 2013.
Paroles
Allez ! petits soldats de France
Le jour des poir’s est arrivé.
Pour servir la Haute Finance
Allez vous en là-bas crever ! (bis)
Tandis qu’au cœur de la fournaise
Vous tomb’rez, une balle au front,
De nos combin’s nous causerons
En fredonnant la » Marseillaise » !
Aux Armes, les enfants ! formez vos bataillons,
Marchez ! marchez ! nous récolt’rons
Dans le sang, des sillons !
Allez ! guerriers pleins de courage,
Petits fils de la liberté,
Allez réduire en esclavage
De pauvr’s Arbis épouvantés ! (bis)
Dans leurs douars, que le canon tonne
Plus fort que le tonnerr’ d’Allah :
Nous align’rons pendant c’temps-là,
Des chiffres en longues colonnes !
Allez-y ! qu’ les cadavr’s s’entassent
Par centaines et par milliers,
Que la plaine où les balles passent
N’soit plus qu’un immense charnier ! (bis)
D’vant l’récit de tout’s ces misères,
En ouvrant le journal de d’main,
Nous song’rons, nous frottant les mains :
» Ça n’biche pas trop mal, les affaires ! »
Allez ! si les autres voraces,
Si tous les requins d’Outre-Rhin,
Font en c’moment un’ sal’ grimace
Ça n’nous défris’ pas l’moindre brin (bis)
Un’ nouvelle guerre ? on s’en fout, puisque
C’est vous qui marcheriez encor
Pour défendre nos coffres-forts
Alors ! franch’ment, NOUS qu’est-c’qu’on risque ?
Nous entrerons dedans la place
Après que vous n’y serez plus :
Nous y trouverons vos carcasses
Près des carcasses des vaincus ! (bis)
Et sur les tombes toutes proches,
Se r’joignant à deux pieds dans l’sol
Avec l’or du meurtre et du vol
Nous emplirons froid’ment nos poches !