Ce poème est un extrait du roman Yvain ou le chevalier au lion, composé par Chrétien de Troyes à la fin du 12ème siècle.
Cette pièce fait un peu tâche dans l’œuvre de Chrétien, plus tournée vers les louanges au dit « amour courtois ».
Nonobstant, nous nous réapproprions cette complainte en ce qu’elle est une illustration de la condition des travailleuses à cette époque… lamentable, cruelle, injuste… qui rejoint celle de tous les prolétaires, hommes et/ou femmes, de par le monde, à toutes les époques. De tous les opprimés, de tous les exploités.
Il y a un fil rouge de notre condition. Et nous n’hésitons pas à parler de nos sœurs tisserandes, nos frères coolies, nos compagnons de misère de partout et toujours.
Cette compréhension, les sociologues bornés sont incapables de la saisir, de la sentir, qui préfèrent saucissonner notre histoire, diviser notre humanité, renier l’identité d’exploitation… et récuser par là l’identité de nos révoltes, insurrections révolutions !
Hétérogénéité des conditions d’exploitation, identité d’action !
La simple description de notre misère n’est pas suffisante, le capital s’en accommode très bien, voire s’en sert… ce qu’il n’aime pas, c’est qu’on mette en avant la nécessité de détruire ce qui nous détruit, depuis trop longtemps… bien avant le 12ème siècle !
Quand nous lisons cette saisissante Complainte des Tisserandes, nous sommes en empathie avec ces femmes.
Nous tissons la soie tout le jour
Et jamais n’en sommes mieux vêtues
À jamais pauvres et nues
Nous avons faim et soif toujours.
Jamais nous ne pouvons gagner
Assez pour déjeuner
On a à peine notre content
De pain pour manger décemment.
Peu au matin et le soir moins
Et jamais de ses mains
Aucune de nous n’a pour vivre
Assez de deniers pour bien vivre
Et pour cela, nous ne pouvons pas
Avoir à suffisance viande et drap
Car qui gagne à la semaine
Ses sous n’est pas hors de peine
Et nous vivons en grande pauvreté
Quand est riche de nous avoir volé
Celui pour qui nous travaillons
Et des nuits entières, nous veillons.
Chaque jour pour gagner plus encore
Il menace de nous frapper le corps
Et les membres si nous nous reposons
Pour que reposer un peu jamais n’osions.
Ecoutons Elsa Zylberstein nous la conter :
Comment ne pas aussitôt mettre en lien leur réalité, « Nous tissons la soie tout le jour/Et jamais n’en sommes mieux vêtues/À jamais pauvres et nues » et celle des tisserands du 19ème siècle, que le Chant des canuts a popularisée ? « C’est nous les canuts/Nous allons tout nus ! »
Cette chanson est écrite en 1894 par Aristide Bruant, en souvenir des révoltes des canuts (tisserands de la région lyonnaise), de 1831 et 1834, écrasées dans le sang. Voir paroles ci-dessous. Souvenons-nous de l’étendard des canuts : Vivre en travaillant ou mourir en combattant !
Ecoutons une version originale :
Bruant s’est inspiré d’un poème, de 1844, de Heinrich Heine, Les tisserands silésiens, qui se soulevèrent durant l’année 1844. Voir Aristide Bruant dans la rubrique Divers.
Bruant a même repris l’image superbe des révoltés tissant le linceul du vieux monde !
Voici le poème de Heine, dans une traduction d’Ann Persson :
Dans l’œil sombre ne tombe aucun sanglot
Face à leur métier, ils montrent les crocs
Allemagne, nous tissons ton linceul
Y tissons la triple malédiction
Nous tissons, nous tissons !
Malédiction sur le dieu que louèrent
Nos prières dans la faim et l’hiver
En vain, nous avons attendu et cru
Il nous a moqués, dupés et perdus
Nous tissons, nous tissons !
Malédiction sur le roi, roi des riches
Dur qui avec notre misère triche
Qui nous ravit jusqu’à nos derniers biens
Et nous fait abattre comme des chiens
Nous tissons, nous tissons !
Malédiction sur la fausse patrie
Où seules croissent honte et infamie
Où chaque fleur si vite touche terre
Où l’ordure et l’infect gorgent le ver
Nous tissons, nous tissons !
Le métier craque, la navette vole
Et jour et nuit, nous tissons sans paroles
Vieille Allemagne, nous tissons ton linceul
Y tissons la triple malédiction
Nous tissons, nous tissons !
Comment ne pas faire directement le lien des révoltes de nos camarades en France et en Allemagne avec celles en Angleterre, en 1811-12, mouvement connu comme celui des Luddistes, qui brisèrent les métiers à tisser qui leur enlevaient le pain de la bouche ?
Lire, entre autres, La révolte luddite : briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation, de Kirkpatrick Sale, en 1995, aux éditions L’Echappée.
Et pourquoi ne pas faire un lien avec tous les dépossédés du monde entier, à toute les époques, contre ce qui les martyrise quotidiennement ?
Voir La marche à suivre dans la rubrique Analyses.
Voici, enfin, une version chantée de la Complainte des tisserandes, par le groupe Aëlis, en 2015 :
Paroles
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d’or
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d’or
Nous en tissons pour vous, grands de l’église
Et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemise
C’est nous les canuts
Nous sommes tout nus
Pour gouverner, il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir
Pour gouverner, il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre
C’est nous les canuts
Nous sommes tout nus
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira:
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira:
Nous tisserons le linceul du vieux monde
Car on entend déjà la révolte qui gronde
C’est nous les canuts
Nous n’irons plus nus