Jehan Jonas


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Jehan Jonas, mort trop jeune, à 35 ans, nous laisse une discographie originale, sensible, iconoclaste. Il fait partie de ces météorites qui chantent la vie, toute la vie, dont la résistance, la lutte, la critique sociale. Il aurait même été membre d’un groupe anarchiste informel et éphémère, les JAP (Jeunesses Anarchistes Pacifistes).
Voir Flic de Paris, dans la rubrique Analyses, où nous traitons cette chanson phare de Jehan.
Toujours en 1967, Jehan nous pond Mentalité française, que son ami Jean-Marie Vivier chantera en 1970… et qui sera censurée, comme Flic de Paris, dès sa sortie !
https://www.youtube.com/watch?v=HTPj9HFnA6g
Jehan Jonas manie l’humour et l’ironie avec adresse, témoin ce nouveau coup de griffe aux forces de maintien de la paix… sociale ! Ecoutons cette curieuse chanson, Bavure, parue en 2010, à titre posthume :
https://www.youtube.com/watch?v=5UVAlCs1jFw&list=PLRRL4fMIlWqZ-b7sP43tIkbUTgTAVO3bY&index=5
Parmi les nombreuses chansons contre la guerre, toutes les guerres, qui existent, nous en avons publiées certaines. Voir, entre autres, Mutins de 1917, Chrétiens en guerre, La Marseillaise des requins, Masters of war, Allons enfants,
etc., dans la rubrique Analyses, ainsi que 14-18 : A bas toutes les guerres !, dans la rubrique Divers.
En voici deux autres, originales, de Jehan Jonas :
* L’une, écrite en 1966, est intitulée Chanson trop courte :
https://www.youtube.com/watch?v=xa0O9bA4gbU&list=PLRRL4fMIlWqZ-b7sP43tIkbUTgTAVO3bY&index=10
* L’autre, écrite en 1976, est intitulée Regarde-moi, je suis la guerre… dont on écoute la version de Jean-Marie Vivier :
https://www.youtube.com/watch?v=A81bDXJaIo0

L’association Jehan Jonas Second Souffle fait un travail de mémoire considérable depuis des décennies… dont l’enregistrement de ce concert, au Havre, en 1975 :
https://www.youtube.com/watch?v=NaVeJvWU_wk


Paroles

Mentalité française

Depuis qu’j’ai fait ma communion
Dans l’épicerie d’la religion
Y’a eu des francs lourds sous les ponts
J’crois ni au diable ni à Dieu
Mais lorsque la vie penche un peu
Je brûle un cierge et ça va mieux
J’crois ni au diable ni à Dieu

Je ne suis pas superstitieux
J’ai la liberté dans les yeux
Et quand même de la chance aux jeux
D’ailleurs le vendredi 13 mai
Je fais toujours ce qu’il me plaît
Mais je n’sors pas, on n’sait jamais
Je ne suis pas superstitieux

Y a pas d’racisme dans ma vie
J’vais tous les ans à Tahiti
J’ai même des noirs dans mes amis
Mais si ma fille veut se marier
Avec un noir, c’est refusé
Faut tout d’même pas exagérer
Y a pas d’racisme dans ma vie

Mon fils fera ce qu’il voudra
Je ne l’empêcherai surtout pas
On est moderne ou on l’est pas
D’ailleurs avec les relations
Que j’ai dans l’administration
Ça pos’ra pas beaucoup d’questions
Mon fils fera ce qu’il voudra

Je t’aime yeah yeah tu es partie
Je pleure yeah yeah seul dans la nuit
Oh yeah oh yeah tout est fini
Ma fin va p’t’être vous étonner
Mais c’est la seule que j’ai trouvée
Pour que ça passe à la télé
Je t’aime yeah yeah tu es partie
Je t’aime yeah yeah et c’est parti

Yeah !

Bavure

Bavure
Bavure je suis né, je suis mort bavure
Faut croire qu’c’était dans ma nature
Comm’ d’autres sont flics ou sont curés
Fonctionnair’s à la préfecture
Ma vocation c’est d’êtr’ bavure

Quand ça canard’ dans le quartier
Je n’étais qu’un représentant
Abattu comme un rat
Par erreur, par bavure
Je passais en voiture

J’avais pas vu qu’autour de moi
Y’avait tant d’concurrents
C’étaient aussi des r’présentants
Mais des r’présentants d’la loi

Je n’étais qu’un r’présentant
Ils ont s’mé dans mon dos
Un peu d’plomb, tout aussitôt
M’est poussée un’ pair’ d’ailes

Je suis content du haut du ciel
Qu’savoir qu’les plombs qu’jai dans la
Peau
Ont p’t-êtr’ été payés
Avec ma part d’impôts

Bavure
Bavure je suis né, je suis mort bavure
C’est là toute mon aventure
Comm’ d’autres sont flics ou sont curés
Membre de la magistrature
Ma vocation c’est d’êtr’ bavure

C’est un’ question d’ponctualité
Qu’on tir’ dans l’tas ça m’dérange pas
Mais mon Dieu, dites-moi pourquoi
Quand l’un des leurs s’fait mettre à mal
Il a des obsèques nationales

Que moi j’ai pas
Pour lui les obsèques nationales
Et l’oubli sur mesure
Pour moi, pauvre bavure

Ca n’aurait pas changé grand-chose
Mais ça m’aurait p’t-êtr’ fait plaisir
Sûr qu’ça m’aurait pas fait revenir
Mais après tout puisqu’on en cause

Les morts, surtout morts par erreur
Faut trois fois rien pour leur bonheur
J’ai raté ma seule occasion
D’passer à la télévision

Bavure
Bavure je suis né, je suis mort bavure
C’était inscrit sur ma figure
Comm’ d’autres sont flics ou sont avocats
Chancres de la littérature
Ma vocation c’est d’êtr’ bavure

Combien restez-vous donc en bas ?
Faut être arabe ou avocat
Surtout pas les deux à la fois
Car ça crée des malentendus
Et le flic ne s’y reconnait plus

Il cogn’ dans l’tas consciencieus’ment
Et s’attir’ des emmerdements
Auto-ma-télé-matiqu’ment
Telle est ma loi, tel est mon camp

Y’a un’ bavure de mes amis
Qu’on est monté chercher chez lui
Pour un étag’ d’erreur
Ce fut la mort sans ascenseur

Y’en a même un qu’a murmuré :
« Ah le salaud, il a bougé »
C’est un’ bavure de mes amis qui me l’a dit
Bavure
Il est, il est mort bavure

Mais surtout que je vous rassure
Quand ils sauront méthodiquement
Eliminer tout’ les bavures
Ils se but’ront en étant sûrs
Qu’ ce s’ra un flic ou un truand

Surtout si la police t’arrête
Sois poli, sois déférent
Ces gens-là sont pas méchants
Mais faut pas énerver les bêtes

Fais ce qu’ils disent
Fais pas d’bêtises
S’ils voient qu’tu crèves de peur
Ils sont contents

Ils défouraillent si facilement
Ils tirent dans la nature
Deux, trois pruneaux pour la bavure
Et puis s’excusent très poliment

A la télévision
Devant les survivants
D’vant tous ces gens possibles
De leur servir un jour de cible

Bavure
Bavure je suis né, je suis mort bavure
C’était inscrit dans mes structures
Comm’ d’autres sont flics ou sont curés

Fonctionnair’ à la préfecture
Méfiez-vous des éclaboussures
Quand ça canard’ dans le quartier

Bavure
Bavure je suis né, je suis mort bavure
C’était inscrit dans mes structures
Comm’ d’autres sont flics ou sont curés
Fonctionnair’ à la préfecture

Chanson trop courte

À coups d’fusils
Se sont battus, se sont éteints
Mourir les armes à la main
Paraît qu’c’est bien
À coups d’képis
Se sont donnés des airs vainqueurs
Toi le troufion va voir ailleurs
Si t’en reviens

J’te f’rai cadeau d’une belle médaille
S’il te reste encore des entrailles
Pour l’accrocher
J’te f’rai cadeau pour tes vieux jours
D’une fourrure en poils d’amour
À peine mitée

À coups d’bâtons
Se sont battus, se sont butés
Maintenant vont boire à la Santé
Le temps d’une peine
À coups d’prisons
Se sont forgés des souvenirs
Dont ils n’pourront plus se servir
Qu’au bout d’une chaîne

J’ te f’rai cadeau d’une paire de plumes
Mon vieil Icare des amertumes
Pour t’envoler
J’ te f’rai cadeau pour tes vieux os
D’une caisse en sapin, sans barreaux
Sans geôlier

À coups d’guitares
J’ me suis battu et j’ me battrai
J’ai tout mon temps et pour dire vrai
J’ai toute la vie
À coups d’regards
Je f’rai ma route avec ma gueule
Et tant pis si je reste seul
Je l’ai choisi

On n’m’a fait cadeau que d’une peau
Et comme je n’suis pas un héros
Je me la garde
Mon vieil ami, mon vieux copain
Mets ta cravate et tiens-toi bien
On nous regarde

Regarde-moi, je suis la guerre

Regarde-moi, je suis la guerre
Vous m’avez chassée la dernière
Fois, ah, mais ne vous inquiétez pas
Je reviens toujours
Un jour

J’ai sur la Terre tellement d’amants
Que je n’ peux pas faire autrement
Je suis une vraie fille à soldats
Un peu bohème
Quand même

Pour moi la vie est une insulte
Comme on dit quand on est adulte
« C’ qu’il leur faudrait, c’est une bonne pute »
Et me voilà
C’est moi

Je peux, aux gens, quand je m’acharne
Au ventre leur faire des lucarnes
À moins qu’on ne les exécute
Quand ils ne veulent pas
De moi

Regarde-moi, je suis la guerre
Je suis séduisante et prospère
J’ai toujours pour me faire la main
Des gens qui ont
Raison

Pour peu qu’ils soient bien convaincants
J’ leur file mon sac avec dedans
Quelques fusils, quelques habits
Ils deviennent comme
Des hommes

Un peu chatte, un peu viscérale
Je m’étale et j’deviens mondiale
Pour un bout de terre, un capitaine
Les hommes au fond
C’est con

Il suffit pour qu’ils s’autorabent
De leur causer d’Juifs ou d’Arabes
Qui sont comme les zones érogènes
D’la victoire en
Chantant

Regarde-moi, je suis la guerre
Je vis en paix dans vos ulcères
Avec fanfare et monuments
C’était tellement
Le bon temps

Pendant la paix, prépare-moi
Un bon matelas de guérillas
Des trucs vachards qui proprement
Mettent le sang sur
Les murs

Demain j’aurai dans les étoiles
Des ressources intersidérales
Pour peu que la gueule des indigènes
Ne vous revienne pas
Déjà

Je me prépare au merveilleux
Roman d’amour qu’au fond des Cieux
Nous vivrons si je me déchaîne
En attendant
J’attends

Regarde-moi, je suis la guerre
L’amour c’est fou c’que ça fait faire
Mieux qu’une femme quand tu me prends
Je suis fidèle
Pas elle

Regarde-moi, je suis la guerre
Je suis la femme qu’on préfère
Pour laquelle on fait des enfants
Qui l’aiment en grandissant

 


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