Corrigan Fest sort Je suis fils en 2007, dans leur unique album La victoire en chantant. D’aucuns disent Corrigan Fest québécois. Je dirais plutôt que ses membres sont nés là, mais leur chanson n’indique-t-elle pas justement l’inverse : nous sommes tous de la Terre, de la lutte pour la vie et la liberté ? Peu importe nos origines, battons-nous là où nous sommes pour vivre dignement, contre les bourgeois qui nous vendent une patrie : « Refusant de mourir au loin pour la nation/Une nation qui ne fut jamais vraiment la mienne ». Car la nation dont parle les nationalistes, qu’ils soient québécois, américains, chiliens, français ou chinois, c’est toujours la guerre contre nous, les humains, divisés en peuples divers, mais formant la grande famille des terriens.
Quel magnifique texte, quelle audace dans le crachat au nationalisme. Quelle puissance d’affirmation de l’amour universel contre les diviseurs-pour-régner !
Ce dont sont fiers les musiciens de Corrigan Fest c’est d’être les héritiers de camarades qui se sont battus pour vivre, au risque de la prison, du gibet ou du déshonneur : « Mais dieu sait que jamais je n’ai courbé l’échine »… « dieu sait », étant une expression courante qui traduit mal leur anticléricalisme vivifiant : « Je ne veux pas de dieu, je ne veux pas de maître ».
Je suis fils décrit notre véritable histoire sociale, faite de souffrances et de luttes. Heureux ceux qui peuvent avoir cette conception de la société, parce que nos ennemis, qu’on les appelle bourgeois, riches, possédants, ou autre, mettent beaucoup d’énergie à réécrire sans cesse notre vie réelle.
Contre l’historiographie bourgeoise et ses livres d’histoire mensongère, Je suis fils dénonce, attaque, mord, crie et chante que nous sommes tous « métis et sang-mêlé », crachant sur la « pureté » de la race… qui a déjà fait suffisamment de dégâts. Les révoltes américaines ont souvent vu Amérindiens, esclaves noirs et pauvres blancs, unis contre leurs oppresseurs. Cette histoire-là est tue ! On peut en retrouver des traces dans l’indispensable livre L’Hydre aux mille têtes, de Marcus Rediger et Peter Linebaugh (2009).
Le morceau éponyme de l’album, La victoire en chantant, fait œuvre de devoir de mémoire en nous rappelant que la révolution en Espagne, en 1936-37, est à perpétuer : « … le combat continue ! »
Voir, Espagne 36, dans la rubrique Divers.
A consulter, dans la même veine et la même rubrique, Speak white.
Paroles
Je suis fils de marin qui traversa la mer
Je suis fils de soldat qui déteste la guerre
Je suis fils de forçat, criminel évadé
Et fils de fille du Roy, trop pauvre à marier
Fils de coureur des bois et de contrebandier
Enfant des sept nations et fils d’aventurier
Métis et sang-mêlé, bien qu’on me l’ait caché
C’était sujet de honte, j’en ferai ma fierté
Je suis fils d’Irlandais, poussé par la famine
Je suis fils d’Écossais venu crever en usine
Dès l’âge de huit ans, seize heures sur les machines
Mais dieu sait que jamais je n’ai courbé l’échine
Non, je suis resté droit, là devant les patrons
Même le jour où ils ont passé la conscription
Je suis fils de paysan, et fils d’ouvrier
Je ne prends pas les armes contre d’autres affamés
Ce n’était pas ma guerre, alors j’ai déserté
J’ai fui dans les forêts et je m’y suis caché
Refusant de servir de chair à canon
Refusant de mourir au loin pour la nation
Une nation qui ne fut jamais vraiment la mienne
Une alliance forcée de misère et de peine
Celle du génocide des premières nations
Celle de l’esclavage et des déportations
Je n’aime pas le lys, je n’aime pas la croix
Une est pour les curés, et l’autre est pour les rois
Si j’aime mon pays, la terre qui m’a vu naître
Je ne veux pas de dieu, je ne veux pas de maître
Je ne veux pas de dieu, je ne veux pas de maître