Jacques Brel (1929-1978) n’est pas un chanteur révolutionnaire. Les nombreuses et magnifiques chansons qu’il a interprétées, et qui dépeignent notre misérable condition d’exploités, ne se terminent jamais par une perspective de résistance, de lutte, de révolution. D’Amsterdam à Les vieux, en passant par Ne me quitte pas ou La chanson des vieux amants, Le plat pays… il y en a tellement… on a l’impression de subir ce monde, mais aussi de s’en contenter, de faire avec…
Brel était un interprète fabuleux, et il faut en avoir pour oser une reprise. C’est pourtant ce qu’on fait certain.es, et avec bonheur.
Allez, on s’écoute David Bowie nous proposer, en 1973, son Port of Amsterdam :
https://www.youtube.com/watch?v=logGmozHfG4
Nina Simone s’attaque, elle, en 1954, et en français, à un autre monument, Ne me quitte pas :
https://www.youtube.com/watch?v=TI8F6DbB2cE
On se souvient de la version de Ray Charles (et celles de Frank Sinatra, Shirley Bassey…), If you go away !
Juliette aussi propose une vibrante interprétation de Ne me quitte pas.
Voir Tout fou l’camp, dans la rubrique Analyses.
Le sommet de la désespérance est peut-être atteint avec Ces gens-là, dont on écoute la version de Ange, en 1973 :
https://www.youtube.com/watch?v=xWgrIlEt4T0
Ange omet le dernier couplet par « respect pour Brel »…
A peine Il pleut (Les carreaux) se termine-t-elle par une saine rage et l’envie d’aller les casser… mais c’est par dépit amoureux !
Idem avec Les bourgeois, au refrain dynamique, moult fois entonné en fin de soirées…
Idem avec Jojo, qui « sous pieds sous terre, tu frères encore… » ou Jef, ce sympathique désespéré qu’on a envie de consoler… qui n’a, c’est dire !, même plus l’envie d’aller manger « des moules et puis des frites et du vin de Moselle ! »
Idem avec Jaurès, qui nous fait pleurer sur la misère ouvrière du début du siècle passé, dans une saisissante description… n’était que Jaurès, que Brel semble admirer, était une de ces crapules social-démocrate, un « défensiste », nationaliste, absolument pas pacifiste, à la réputation usurpée… il y en a tellement… dont nous parlons dans 14-18 – A bas toutes les guerres, dans la rubrique Divers.
Pourtant, parfois, au détour d’une chanson, Brel égratigne ce monde réel. Par exemple, dans Fernand « Et puis les adultes sont tellement cons/Qu’ils nous feront bien une guerre. »
Il y a aussi, en 1954, ce diable au discours sulfureux sur l’état du monde, dans Le diable (ça va), interdite en Belgique lors de sa parution, dont on écoute la brillante interprétation de Juliette Gréco :
Juliette Gréco savait chanter le grand Jacques comme personne, témoin ce J’arrive, cet improbable tutoiement avec la mort…
Et puis, il y a Les moutons, cette vivifiante chanson de 1967 :
Jacques Brel – Les moutons – YouTube
Brel a chanté nombre de ses succès en flamand, témoin Mijn vlakke land (Le plat pays) :
https://www.youtube.com/watch?v=Bu_XS6T2TMM
Voir De flamingant ne me traitez, dans la rubrique Analyses.
Voir enfin Les singes, dans la rubrique Analyses.
Qu’on nous comprenne bien, nous ne sommes pas bégueule et écoutons volontiers l’une ou l’autre chanson du répertoire de Jacques Brel, et nous aussi nous poursuivons l’inaccessible étoile d’un monde meilleur. Sur terre.
Paroles
Le diable (ça va)
Un jour,
Un jour le diable vint sur Terre
Un jour le diable vint sur Terre
Pour surveiller ses intérêts
Il a tout vu le diable, il a tout entendu
Et après avoir tout vu
Et après avoir tout entendu
Il est retourné chez lui, là-bas.
Et là-bas, on avait fait un grand banquet
A la fin du banquet, il s’est levé le diable
Il a prononcé un discours :
Ça va
Il y a toujours un peu partout
Des feux illuminant la Terre
Ça va
Les hommes s’amusent comme des fous
Au dangereux jeu de la guerre
Ça va
Les trains déraillent avec fracas
Parce que des gars pleins d’idéal
Mettent des bombes sur les voies
Ça fait des morts originales
Ça fait des morts sans confession
Des confessions sans rémission
Ça va
Rien ne se vend mais tout s’achète
L’honneur et même la sainteté
Ça va
Les États se muent en cachette
En anonymes sociétés
Ça va
Les grands s’arrachent les dollars
Venus du pays des enfants
L’Europe répète l’Avare
Dans un décor de mil neuf cent
Ça fait des morts d’inanition
Et l’inanition des nations
Ça va
Les hommes, ils en ont tant vu
Que leurs yeux sont devenus gris
Ça va
Et l’on ne chante même plus
Dans toutes les rues de Paris
Ça va
On traite les braves de fous
Et les poètes de nigauds
Mais dans les journaux de partout
Tous les salauds ont leur photo
Ça fait mal aux honnêtes gens
Et rire les malhonnêtes gens
Ça va, ça va, ça va, ça va!
Les moutons
Désolé, bergère
J’aime pas les moutons
Qu’ils soient pure laine
Ou en chapeau melon
Qu’ils broutent leur colline
Qu’ils broutent le béton
Menés par quelques chiens
Et par quelques bâtons
Désolé, bergère
J’aime pas les moutons
Désolé, bergère
J’aime pas les agneaux
Qui arrondissent le dos
De troupeau en troupeau
De troupeau en étable
Et d’étable en bureau
J’aime encore mieux les loups
J’aime mieux les moineaux
Désolé, bergère
J’aime pas les agneaux
Désolé, bergère
J’aime pas les brebis
Ça arrive tout tordu
Et ça dit déjà « oui »
Ça se retrouve tondu
Et ça vous redit « oui »
Ça se balance en boucherie
Et ça re-redit « oui »
Désolé, bergère
J’aime pas les brebis
Désolé, bergère
J’aime pas les troupeaux
Qui ne voient pas plus loin
Que le bout de leur coteau
Qui avancent en reculant
Qui se noient dans un verre d’eau… bénite
Et dès que le vent se lève
Montrent le bas de leur dos
Désolé, bergère
J’aime pas les troupeaux
Désolé, bergère
J’aime pas les bergers
Désolé, bergère
J’aime pas les bergers
Il pleut, il pleut, bergère
Prends garde à te garder
Prends garde à te garder, bergère
Un jour tu vas bêler
Désolé, bergère
J’aime pas les bergers
Désolé bergère
J’aime pas les moutons
Qu’ils soient pure laine
Ou en chapeau melon
Qu’ils broutent leur colline
Qu’ils broutent le béton
Menés par quelques chiens
Et par quelques bâtons
Désolé bergère
J’aime pas les moutons
Bêêê…