Hexagone


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Quand Renaud sort Hexagone, en 1975, c’est le Renaud qu’on aime, celui de La Médaille ou de Les Charognards… pas celui qui embrasse un flic!
Hexagone, censurée à sa sortie, fustige la classe ouvrière écrasée, abrutie, réifiée, imbécilisée, battue, abattue. Une classe sociale qui perd ses repères et se vautre dans les miettes cul-culturelles que lui jette une bourgeoisie arrogante, décomplexée. Roi des cons, le Français ! Quelle claque au nationalisme et au patriotisme, si puissants en France. Et ne croyez pas que l’Allemand ou le Portugais soient meilleurs que lui, la chanson n’induit pas ça.
Hexagone est un crachat à la résignation, à la justification de la misère sociale, pseudo-culturelle. Une gifle à la bassesse. Ca fait un bien fou !
Ca rappelle les films Dupont la joie, sorti la même année, ou A mort l’arbitre, en 1984.
Hexagone dénonce la dilution de notre classe sociale dans une bouillie a-classiste, le peuple, façon populace. Souvenons-nous de la vivifiante chanson Which side are you on ? que Florence Reece écrivit en 1931 et dans laquelle les frontières de classe sont clairement mises en avant.
Voir Which side are you on ?, dans la rubrique Analyses.
Renaud ne va pas jusque là, mais, avec ses mots, dénonce ce qui entrave la claire conscience qu’il n’y a que deux classes sociales, aux intérêts antagoniques.
Une petite ombre : Jean Moulin que Renaud semble considérer comme un héros. Ce sinistre personnage, ami de De Gaulle, a toujours été un bourgeois va-t-en-guerre, et son programme a toujours été : bossez et fermez-la. Son seul fait d’arme est d’avoir été arrêté et torturé par les nazis. Ca ne suffit pas pour en faire un révolutionnaire. Tous les bourgeois se font, sans cesse, la guerre pour partager le gâteau de notre exploitation !
La fantasmatique « Résistance » est toujours un sujet plus ou moins tabou en France. Le Français très moyen, qu’on reconnaît dans Hexagone, admire la résistance à l’occupation allemande mais refuse celle des Indochinois, des Malgaches ou des Algériens… à l’occupation française !
Voir Le chant des partisans, dans la rubrique Pamphlets.
Les puristes feront remarquer que Renaud parle du 8 février 1962 et non du pogrom du 17 octobre 1961… jour où la police française a massacré, en toute impunité, environ 400 Algériens qui défilaient pacifiquement dans Paris, contre le couvre-feu à eux seuls imposé. Voir dans la rubrique Divers, 17 octobre 1961.
Renaud fait seulement référence à la manifestation du 8 février, au métro Charonne, qui a fait neuf morts, mais tous Français, blancs et inscrits au PC. Dommage.
Pour autant, Hexagone restera un monument contre la beauf’génération qui n’est hélas pas morte. La chanson de Raphaël, en 2010, Le Patriote nous le rappelle.
Réécoutons Hexagone et saluons encore une fois notre camarade Puig Antich.


Paroles

Hexagone

Ils s’embrassent au mois de Janvier,
Car une nouvelle année commence,
Mais depuis des éternités
L’a pas tellement changé la France.
Passent les jours et les semaines,
Y’a que le décor qui évolue,
La mentalité est la même
Tous des tocards, tous des faux culs.

Ils sont pas lourds, en février,
À se souvenir de Charonne,
Des matraqueurs assermentés
Qui fignolèrent leur besogne,
La France est un pays de flics,
À tous les coins du rue y’en a cent,
Pour faire régner l’ordre public
Ils assassinent impunément.

Quand on exécute au mois de mars,
De l’autre côté des Pyrénées,
Un anarchiste du Pays basque,
Pour lui apprendre à se révolter,
Ils crient, ils pleurent et ils s’indignent
De cette immonde mise à mort,
Mais ils oublient que la guillotine
Chez nous aussi fonctionne encore.

Être né sous le signe de l’hexagone,
C’est pas ce qu’on fait de mieux en ce moment,
Et le roi des cons, sur son trône,
Je parierai pas qu’il est allemand.

On leur a dit, au mois d’avril,
À la télé, dans les journaux,
De pas se découvrir d’un fil,
Que le printemps c’était pour bientôt,
Les vieux principes du seizième siècle,
Et les vieilles traditions débiles,
Ils les appliquent tous à la lettre,
Y me font pitié ces imbéciles.

Ils se souviennent, au mois de mai,
D’un sang qui coula rouge et noir,
D’une révolution manquée
Qui faillit renverser l’Histoire,
Je me souviens surtout de ces moutons,
Effrayés par la Liberté,
S’en allant voter par millions
Pour l’ordre et la sécurité.

Ils commémorent au mois de juin
Un débarquement de Normandie,
Ils pensent au brave soldat ricain
Qu’est venu se faire tuer loin de chez lui,
Ils oublient qu’à l’abri des bombes,
Les Français criaient « Vive Pétain »,
Qu’ils étaient bien planqués à Londres,
Que y’avait pas beaucoup de Jean Moulin.

Être né sous le signe de l’hexagone,
C’est pas la gloire, en vérité,
Et le roi des cons, sur son trône,
Me dites pas qu’il est portugais.

Ils font la fête au mois de juillet,
En souvenir d’une révolution,
Qui n’a jamais éliminé
La misère et l’exploitation,
Ils s’abreuvent de bals populaires,
Du feux d’artifice et de flonflons,
Ils pensent oublier dans la bière
Qu’ils sont gouvernés comme des pions.

Au mois d’août c’est la liberté,
Après une longue année d’usine,
Ils crient « Vive les congés payés »,
Ils oublient un peu la machine,
En Espagne, en Grèce ou en France,
Ils vont polluer toutes les plages,
Et par leur unique présence,
Abîmer tous les paysages.

Lorsqu’en septembre on assassine,
Un peuple et une liberté,
Au cœur de l’Amérique latine,
Ils sont pas nombreux à gueuler,
Un ambassadeur se ramène,
Bras ouverts il est accueilli,
Le fascisme c’est la gangrène
À Santiago comme à Paris.

Être né sous le signe de l’hexagone,
C’est vraiment pas une sinécure,
Et le roi des cons, sur son trône,
Il est français, ça j’en suis sûr.

Finies les vendanges en octobre,
Le raisin fermente en tonneaux,
Ils sont très fiers de leurs vignobles,
Leurs « Côtes-du-Rhône » et leurs « Bordeaux »,
Ils exportent le sang de la terre
Un peu partout à l’étranger,
Leur pinard et leur camembert
C’est leur seule gloire à ces tarés.

En Novembre, au salon de l’auto,
Ils vont admirer par milliers
Le dernier modèle de chez Peugeot,
Qu’ils pourront jamais se payer,
La bagnole, la télé, la tiercé,
C’est l’opium du peuple de France,
Lui supprimer c’est le tuer,
C’est une drogue à accoutumance.

En décembre c’est l’apothéose,
La grande bouffe et les petits cadeaux,
Ils sont toujours aussi moroses,
Mais y’a de la joie dans les ghettos,
La Terre peut s’arrêter de tourner,
Ils rateront pas leur réveillon
Moi je voudrais tous les voir crever,
Étouffés de dinde aux marrons.

Être né sous le signe de l’hexagone,
On peut pas dire que ça soit bandant
Si le roi des cons perdait son trône,
Y’aurait cinquante millions de prétendants.

 


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