Cadre historique.
Comme partout dans le monde, dans plusieurs régions d’Amérique latine, la lutte de classe se développe vers la fin des années 1960. La politisation de la société va bon train et une éclosion de groupes révolutionnaires mais aussi d’extrême-gauche a lieu. L’auto-défense armée s’organise contre les pistoleros au service de l’Etat ou des gros patrons. De chaque côté on compte les morts violentes.
Parallèlement, les syndicats ont de plus en plus de mal à contenir le mécontentement ouvrier. Des manifestations monstres ont lieu avec affrontements avec la flicaille, ainsi que des pillages, des attaques de bâtiments gouvernementaux, etc.
Au Chili, la question que se pose la bourgeoisie est : comment arrêter ce mouvement de lutte, de contestation, de rejet de notre société ?
La réponse que l’histoire a donnée est : Allende et son gouvernement d’Unité Populaire (UP), alliance du PS, du PC et des démocrates-chrétiens, est la fraction bourgeoise la plus à même de contenir ce mouvement de destruction du vieux monde ! Ce sera sa fonction historique, sa seule raison d’être.
Situation sociale.
Début septembre 1970, Allende accède au pouvoir. Dès le début, il demande aux prolétaires de déposer les armes, de faire confiance à la police et à l’armée « du peuple ». Ses réformettes vont exaspérer les ouvriers qui en veulent plus, malgré qu’ils aient cru aux sornettes électoralistes des cadors de l’UP.
La droite chilienne se reprend, appuyée, conseillée, financée par la CIA, ITT et la United Fruit Co, et organise, entre autres sabotages, une gigantesque grève des transports routiers (principal moyen de communication au Chili montagneux), espérant paralyser l’économie.
Mais les ouvriers n’ont pas voté pour des restrictions : ils font grève à leur tour, contre le gouvernement, créant des cordons industriels, partout dans le pays, et organisent la contre-attaque de façon autonome. Allende envoie l’armée rétablir l’ordre !
Durant ses trois années de pouvoir, l’UP n’aura de cesse de saboter les efforts organisatifs autonomes des prolétaires, de les emprisonner, de les désarmer, de les désavouer.
Il y a donc une résistance populaire certaine durant ces trois années.
Crépuscule de l’UP.
En 1973, l’UP n’a plus la cote. Il ne réussit à museler ni la droite, de plus en plus sûre d’elle, ni la masse des prolétaires, désabusés et qui s’organisent hors des cadres syndicaux et partidaires traditionnels.
Le PC va donc se mobiliser pour redonner du souffle à ses troupes écœurées. Il fait appel à un de ses militants, Sergio Ortega, musicien et responsable de la propagande au sein du PC chilien, pour créer une chanson populaire qui saura réunir le peuple chilien sous la bannière de l’UP. C’est en mai 1973, que ce projet aura lieu. Ortega fait appel au groupe Quilapayún pour écrire une chanson dont il écrira la musique. Ainsi est né El pueblo unido jamás será vencido, enregistrée dès juillet 1973.
Celle-ci est donc une chanson d’Etat, une chanson de commande ! Son contenu est explicite : le peuple doit obéir au gouvernement d’Unité Populaire, de façon pacifique ! Le titre reprend un vieux mot d’ordre pacifiste social-démocrate des années ’30.
Cette « invincibilité » promise ne durera que trois petits mois, jusqu’au 11 septembre !
Il est important de retenir que le gouvernement d’Unité Populaire était de plus en plus décrédibilisé.
Ainsi, durant l’été 1973, quand les organisateurs des manifestations imposaient leur hymne à la soumission, les prolétaires, en colère, criaient armado quand l’Etat voulait un simple unido inoffensif. Un autre détournement avait aussi du succès : « le peuple uni et désarmé… sera toujours vaincu« .
On est loin d’une amusante opposition. Ceci reflétait la lutte des classes au Chili durant ce funeste été.
Cette critique en actes dans la rue, lors des manifs, se répercutera durant de longues années encore partout dans le monde.
Le 11 septembre 1973, l’UP est renversé par la CIA qui met Pinochet au pouvoir. Allende se suicide.
Vie posthume de la chanson.
C’est le groupe Inti Illimani qui popularisera cette chanson par la suite, conjointement avec Quilapayùn, qui avait été envoyé en Europe par Allende, comme ambassadeur culturel.
Inti Illimani bénéficiera de l’exil politique en Italie et Quilapayùn, en France.
Pendant des décennies, en Europe principalement mais aussi partout dans le monde, ces deux groupes vont asséner ce refrain soporifique aux spectateurs béats, friands de cet exotisme militant, communiant avec les gauchistes pacificateurs chiliens, fussent-ils musiciens talentueux.
Car la chanson est belle, la mélodie agréable, le refrain envoûtant comme une manif puissante. La chanson respire l’enthousiasme. Et, oui, on peut comprendre la fascination qu’elle exerce, en tout cas le refrain, car qui n’a pas envie de vivre au sein de cette communauté en mouvement, en train de changer le monde ? Quand les prolétaires du monde entier reprennent en chœur le refrain, comme au Chili en octobre 2019, en pleine lutte sociale, ils expriment un souhait, qui, en retour, leur fait du bien, leur délivre ce message : oui, à plusieurs on est plus fort, on a moins peur, on peut gagner !
Mais que dit le texte lui-même ?
Que peut dire un texte stalinien contre des prolétaires tentant d’imposer leurs besoins humains par la force ? Il dit : la patrie vous sauvera, le Chili vous protégera, mettez-vous à son service !
« Con décision la patria vencerà ! »
C’est-à-dire exactement le même message que les salauds d’en face disaient, disent et diront toujours : le vrai Chili, c’est nous !
Le nationalisme est décidément un excellent fossoyeur de la révolution.
Souvenons-nous que pendant les manifestations mondiales de « soutien-au-peuple-chilien » il était crié : Viva Chile ! Pas de classes sociales, pas de mouvement révolutionnaire, pas de perturbation… manifestez en rangs et répétez les slogans officiels…
Les prolétaires chiliens morts pendant l’Unité Populaire ou après, sous Pinochet, sont tués une seconde fois !
Social-démocratie.
C’est la social-démocratie internationale, stalinienne et socialiste en tête, qui va promotionner cette chanson et son contenu.
On peut comparer le destin d’El pueblo avec celui de la version nationaliste, « partisane », de Bella ciao, contre sa version originale, sociale, offensive. Voir Bella ciao et les mondine, dans la rubrique Divers.
Ces deux chansons, qui ont une mélodie magnifique, vont constituer au fil des décennies un hymne au régionalisme, au nationalisme, au pacifisme, à l’antifascisme, bref, à la social-démocratie.
Pas étonnant qu’elles soient traduites et interprétées à tour larigot.
La chanson El pueblo unido jamas sera vencido participe à cet engouement pour une alternative bourgeoise, social-démocrate, au danger révolutionnaire ! Nous traîner vers la voie pacificatrice, démobilisatrice de notre rage.
Fin ?
Peut-être pas.
Allende et son Unité Populaire ont été critiqués dès leur apparition.
La vague de luttes autour de 68-73 a donné lieu à de nombreuses ruptures de classe. Par exemple, dans l’Italie des années de plomb, le pacifisme d’Allende était puissamment critiqué, ce qui a amené de multiples groupes de prolétaires à s’organiser de façon autonome contre le flicage stalinien, social-démocrate et, bien sûr, des autres forces étatiques. Il existe nombre de textes contre la politique de gauche au pouvoir, pour qui l’expérience chilienne entre 1970 et 1973 restera majeure. Cette fraction socialiste n’a rien d’une alternative humaine, au contraire elle est là pour nous désarmer politiquement et réellement.
Partout dans le monde, les prolétaires en lutte devront se méfier de leurs faux amis. Parmi ceux-ci les leaders charismatiques, de gauche, populistes, tribuns redoutables, beaux parleurs en fait, et leurs suivistes carriéristes, opportunistes et sans scrupules. Allende est véritablement un exemple de ce type de personnage.
Hasta siempre la Revolucion !
Paroles
Que vamos a triunfar.
Avanzan ya
Banderas de unidad.
Y tú vendrás
Marchando junto a mí
Y así verás
Tu canto y tu bandera florecer.
La luz
De un rojo amanecer
Anuncia ya
La vida que vendrá.
El pueblo va a triunfar.
Será mejor
La vida que vendrá
A conquistar
Nuestra felicidad
Y en un clamor
Mil voces de combate se alzarán,
Dirán
Canción de libertad,
Con decisión
La patria vencerá.
Que se alza en la lucha
Con voz de gigante
Gritando: ¡adelante!
Forjando la unidad.
De norte a sur
Se movilizará
Desde el salar
Ardiente y mineral
Al bosque austral
Unidos en la lucha y el trabajo
Irán,
La patria cubrirán.
Su paso ya
Anuncia el porvenir.
El pueblo va a triunfar.
Millones ya,
Imponen la verdad,
De acero son
Ardiente batallón,
Sus manos van
Llevando la justicia y la razón.
Mujer,
Con fuego y con valor,
Ya estás aquí
Junto al trabajador.
Que se alza en la lucha
Con voz de gigante
Gritando: ¡adelante!
Le Peuple Uni Jamais Ne Sera Vaincu
Le peuple uni jamais ne sera vaincu…
Debout, chanter
Parce que nous allons triompher.
Avancent déjà
Les drapeaux de l’unité.
Et tu viendras
marchant à mes côtés
et ainsi tu verras
ta chanson et ton drapeau fleurir.
la lumière
d’une aurore rouge
annonce d’avance
la vie qui viendra.
Debout, lutter
le peuple va triompher.
Elle sera meilleur
la vie qui viendra
conquérir
notre bonheur
et dans une clameur
mille voix de combat monteront,
diront
une chanson de liberté,
avec détermination
la patrie vaincra.
Et maintenant le peuple
qui s’élève dans la lutte
avec une voix de géant
criant: on y va!
Le peuple uni jamais ne sera vaincu…
La patrie est en train de
forger l’unité.
Du nord au sud
Elle se mobilisera
en partant du saloir
ardent et minéral
à la forêt australe
unis dans la lutte et le travail
ils iront,
ils couvriront la patrie.
Son pas déjà
annonce ce qu’il va arriver.
Debout, chanter
le peuple va triompher.
Des millions déjà,
imposent la vérité,
les ardents bataillons
son en acier,
leurs mains sont en train de
mener la justice et la raison,
Femme,
avec du feu et de la valeur,
Tu est déjà ici
aux côtés du travailleur.
Et maintenant le peuple
qui s’élève dans la lutte
avec une voix de géant
criant: on y va!
Le peuple uni jamais ne sera vaincu…