Vous les entendez les bruits de bottes ? Et qu’il faudrait envoyer des troupes au sol, en Ukraine, éventuellement des Casques bleus, que des kits de survie au cas où… et que le service militaire obligatoire ceci, que la défense de l’Europe cela… Nos maîtres se frottent déjà les mains à la perspective de nous dompter un peu plus, et de toucher les dividendes financiers et politiques de l’affaire.
La guerre nous malmène toujours nous, les petits, les humbles, les ouvriers, les perdants, les peuples, les prolétaires… c’est entendu depuis longtemps.
Prenons un exemple avec les bombardements alliés, sur l’ouest de la France, à partir de 1940.
Sur internet vous trouverez de multiples infos concernant ces bombardements. Concentrons-nous sur les 165 détruisant totalement Brest, de juillet 1940 à août 1944, causant plus de 1000 mort, 550 blessés et un nombre inconnu de « disparus » !
Deux poètes vont se pencher sur cette ville détruite, traumatisée, Jacques Prévert qui écrit le célèbre Barbara, en 1946, dans Paroles, et Gérard Delahaye, qui écrit et chante Brest, en 1979. Dans l’un et l’autre poème, aucun appel à la révolution, à attaquer ceux qui nous pourrissent la vie, et profitent de nos labeurs et de nos peines. Non, juste un goût amer que Prévert résume si bien : quelle connerie la guerre.
Gérard Delahaye nous l’avons plusieurs fois mentionné :
– dans Camions, dans la rubrique Analyses ;
– et dans La guerre d’Algérie, dans la rubrtique Divers.
Il y a d’autres paroliers et chanteurs qui ont évoqué cette ville, mais sans vraiment dénoncer les fauteurs de guerre… qu’ils soient du bon côté de la réécriture de l’histoire (celle des vainqueurs) ou du mauvais. Nous laisserons les amoureux des Américains « libérateurs » à leurs amours. Pour nous, il n’y a pas de bonne guerre, jamais !
– Pierre Mac Orlan, en 1965, écrit Fanny de Laninon, dans laquelle il témoigne : « Tonnerre de Brest est tombé/Pas du bon côté/Tout s’est écroulé. »
– Miossec, en 2004, fait un détour nostalgique et gentillet par son Brest natal.
– Les Goristes, dans Brest poubelle océane, en 2008, font une découverte intéressante : « Et raison d’Etat, sûr qu’à Brest on connaît/Ca veut dire tais-toi, rien à voir, circulez ! »
– L’histoire disparaît totalement en 1998, avec Lambé An Dro, de Matmatah.
Quant à Prévert, nous l’avons mentionné :
– dans Ne rêvez pas, dans la rubrique Analyses ;
– dans Beau comme une école qui brûle, dans la rubrique Divers.
Bon, on s’écoute Serge Reggiani réciter Barbara :
Paroles
Brest
A jongler avec les jours avec les semaines
J’ai perdu mon élan j’ai perdu mon haleine
Les loups garous des gares égorgent les sirènes
Tous les vaisseaux rouillés de Brest meuglent leur peine
Brest sur Elorn, Brest sur Penfeld, Brest après guerre
Où les bagnoles filent dans les rues perpendiculaires
Béton armé de fer, bateaux, armée de mer
Mon père et mon grand-père ont vécu de la guerre
J’y ai rêvé comme à un grand soleil d’acier
Qui roulait sur les vagues, flottait sur mes cahiers
Où chaque jour j’écris une maxime en haut de page :
« Faut aimer son prochain » , « la vie n’est qu’un passage »
Brest, oh ma blanche morte aux hanches de pleine mer
Tu bouffes à tous les bateliers de l’univers
Les cales des fruitiers soufflaient l’Afrique mauve
Je n’étais qu’un enfant tranquille au regard fauve.
Mon œil éclate en rouge dans le minium des coques
Des navires étranglés entre radoub et docks
Les bassins d’ombre où les bouches d’égout s’engouffrent
J’étais un Indien pétri de charbon et de soufre.
Mes chevaux d’air se sont perdus dans les rues droites
Ils ont filé les bateaux blancs et les pirates
Les Américains nous jetaient des carambars
Et partaient en riant se saouler dans les bars
Les mouettes sur le dépotoir crient piou piou
Les mouettes sur l’école de guerre crient piou piou
Les mouettes sur la rade et les bateaux crient piou piou
« Qui es-tu toi l’homme à genoux
Qui marches sur la terre,
Qui voles dans les airs,
Qui nages dans la mer
Piou piou? »
Brest et ses rues sans âme, sans âme que le vent
Qui rôde de la rue de Siam au Pont Levant
Les lavandières de la pluie ont blanchi le soleil
Mes yeux au bout du ciel ont lancé leurs abeilles.
Le vent, le vent, le vent souffle rue Jean Jaurès
Soulève les jupons des filles et les caresse
De sa main de velours sa large main de sel
Qui fait chanter les drisses et fait l’amour au ciel.
Troadic, dis-moi, cours tu toujours le long des rues?
As-tu fermé les yeux entre les bras des grues,
Leur tendresse rouillée, leur dentelle de ferraille
As-tu trouvé la mort paisible et ses semailles?
Lorsque les chiens du temps me feront rendre gorge
Quand les poumons du vent n’attiseront plus mes forges
Guide-moi d’une main, éclaire un peu ma route
Dans le train des vaincus, des vainqueurs
Et de ceux qui doutent
Les mouettes sur le dépotoir crient piou piou
Les mouettes sur l’école de guerre crient piou piou
Les mouettes sur la rade et les bateaux crient piou piou
« Qui es-tu toi l’homme à genoux
Qui marches sur la terre,
Qui voles dans les airs,
Qui nages dans la mer
Piou piou? »
Barbara
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Epanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t’ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle toi quand même ce jour-là
N’oublie pas
Un homme sous un porche s’abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t’es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m’en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j’aime
Même si je ne les ai vus qu’une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s’aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N’oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l’arsenal
Sur le bateau d’Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n’est plus pareil et tout est abîmé
C’est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n’est même plus l’orage
De fer d’acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l’eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.