En 1895, Jules Jouy écrit Fille d’ouvriers, qui montre que la prole ouvrière est très tôt de la chair à patron, élevée à l’école de l’usine, l’exploitation, la prostitution, la misère. Le texte nous donne à voir que, filles ou garçons, pour nos maîtres nous ne sommes que « ça », de la chair à profit ! Et, à la fin, une perspective tranchante comme une vengeance :
« Patrons, tas d’Héliogabale, d’effroi saisis/Quand vous tomberez sous nos balles/Chair à fusils/Pour que chaque chien sur vos trognes/Pisse, à l’écart/Nous leur laisserons vos charognes/Chair à Macquart ! »
Rares sont les chansons qui, à l’instar de Fille d’ouvriers, décrivent la misère et la réaction humaine, sociale, contre la misère.
Nous comprenons pourquoi beaucoup ont chanté cette chanson : la description est saisissante de la condition de ces filles perdues, malaxées par le capitalisme.
On appréciera la version de Michèle Bernard, en 2005.
https://www.youtube.com/watch?v=K1j5wJDzgqw
Agnès Bihl, en 2016, modernise le texte… pourquoi pas, parce qu’en effet, plus personne ne sait qui est Héliogabale ou Macquart. Et puis, la critique de ce système de merde qui nous avilit tous est toujours d’actualité !
https://www.youtube.com/watch?v=6GtoRy7Fr2o
Un camarade nous a envoyé ces quelques notes :
« Véritable appel à la révolte, Fille d’ouvriers dénonce les conditions de vie des ouvrières et condamne le patron, le comparant au tyran Héliogabale, empereur romain dont le règne fut une suite de persécutions et qui finit assassiné par sa garde prétorienne.
Jules Jouy (1855-1897) est à l’origine de multiples textes de chansons s’inspirant des faits d’actualité, destinés à être publiés dans les journaux socialement engagés, comme Le cri du peuple ou Le parti ouvrier. La chanson ouvrière est à l’époque un genre si répandu que de nombreux compositeurs s’y exercent. Ainsi, Gustave Goublier, chef d’orchestre à l’Eldorado, puis aux Folies Bergères, accepte-t-il tout naturellement d’écrire la musique de ce texte. »
Paroles
Fille d’ouvriers
Pâle ou vermeille, brune ou blonde, bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde, chair à guignon.
Ébouriffée, suçant son pouce, jamais lavée,
Comme un vrai champignon ça pousse, chair à pavé.
À quinze ans, ça rentre à l’usine, sans éventail,
Du matin au soir ça turbine, chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s’étiole, quand c’est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole, chair à patron.
Jusque dans la moelle pourrie, rien sous la dent,
Alors, ça rentre en brasserie, chair à client.
Ça tombe encore : de chute en chute, honteuse, un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute, chair à trottoir.
Ça vieillit, et plus bas ça glisse. Un beau matin,
Ça va s’inscrire à la police, chair à roussin ;
Ou bien, sans carte, ça travaille dans sa maison ;
Alors, ça se fout sur la paille, chair à prison.
D’un mal lent souffrant le supplice, vieux et tremblant,
Ça va geindre dans un hospice, chair à savant.
Enfin, ayant vidé la coupe, bu tout le fiel,
Quand c’est crevée, ça se découpe, chair à scalpel.
Patrons, tas d’Héliogabale, d’effroi saisis,
Quand vous tomberez sous nos balles, chair à fusils,
Pour que chaque chien sur vos trognes pisse à l’écart,
Nous leur laisserons vos charognes, chair à Macquart