Les singes


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Jacques Brel n’est pas un chanteur révolutionnaire. Les nombreuses et magnifiques chansons qu’il a chantées, et qui dépeignent notre misérable condition d’exploités, ne se terminent jamais par une perspective de résistance, de lutte, de révolution. D’Amsterdam à Les vieux, en passant par Ne me quitte pas ou La chanson des vieux amants, Le plat pays… il y en a tellement… on a l’impression de subir ce monde, mais aussi de s’en contenter, de faire avec…
Le sommet est peut-être atteint avec Ces gens-là, d’une rare désespérance.
A peine Il pleut (Les carreaux) se termine-t-elle par une saine rage et l’envie d’aller les casser… mais c’est par dépit amoureux !
Idem avec Les bourgeois, au refrain dynamique, moult fois entonné en fin de soirées…
Idem avec Jojo, qui « sous pieds sous terre, tu frères encore… » ou Jef, ce sympathique désespéré qu’on a envie de consoler… qui n’a même plus l’envie d’aller manger « des moules et puis des frites et du vin de Moselle ! »
Idem avec Jaurès, qui nous fait pleurer sur la misère ouvrière au début du siècle passé, dans une saisissante description… n’était que Jaurès, que Brel semble admirer, était une de ces crapules social-démocrate, un « défensiste », nationaliste, absolument pas pacifiste, à la réputation usurpée… il y en a tellement… dont nous parlons dans 14-18 – A bas toutes les guerres, dans la rubrique Divers.
Pourtant, parfois, au détour d’une chanson, Brel égratigne ce monde réel. Par exemple, dans Fernand « Et puis les adultes sont tellement cons/Qu’ils nous feront bien une guerre. »
Il y a aussi, en 1954, ce diable au discours sulfureux sur l’état du monde, dans Le diable (ça va), interdite en Belgique lors de sa parution, dont on écoute l’interprétation de Juliette Gréco :
https://video.search.yahoo.com/search/video?fr=mcafee_uninternational&p=chanson+ca+va+de+brel+greco&type=E210BE91082G0#id=2&vid=62c4f3ee8c7488cdeec83c2167f9d39b&action=click
Il y a enfin Les moutons, cette surprenante chanson de 1967 :
Jacques Brel – Les moutons – YouTube
Qu’on nous comprenne bien, nous ne sommes pas bégueule et écoutons volontiers l’une ou l’autre chanson du répertoire de Jacques Brel et nous aussi nous poursuivons l’inaccessible étoile d’un monde meilleur. Sur terre.

Bagarres au début des soldes.

Dans Les singes (1959) Brel oppose la civilisation, c’est-à-dire le capitalisme et son inhumanité, à la vie. Le mot civilisation nous a été imposé pour décrire ce qui, en fait, c’est-à-dire dans la réalité quotidienne, est la destruction de la vie. Plus que jamais, nous vivons une époque orwellienne où l’idéologie dominante (« Les idées dominantes sont celles de la classe dominante ») désigne les choses par leur contraire. Orwell, dans 1984, avait définitivement dénoncé cette pratique avec ses trois aphorismes : « La guerre c’est la paix ; l’ignorance c’est la force ; l’esclavage c’est la liberté ! »

C’est tout l’intérêt de cette chanson, Les singes, que de remettre les pendules à l’heure et de cracher sur la civilisation imposée à notre humanité par le monde de l’argent !
Quelle intuition, avant le développement de l’informatique, de nous savoir « en numéro » !
Réécoutons cette chanson, dispatchons-la à nos amis, nos connaissances, chantons-la :


Paroles

Les singes

Avant eux avant les culs pelés
La fleur l’oiseau et nous étions en liberté
Mais ils sont arrivés et la fleur est en pot
Et l’oiseau est en cage et nous en numéro
Car ils ont inventé prisons et condamnés
Et casiers judiciaires et trous dans la serrure
Et les langues coupées des premières censures
Et c’est depuis lors qu’ils sont civilisés
Les singes les singes les singes de mon quartier
Les singes les singes les singes de mon quartier

Avant eux il n’y avait pas de problème
Quand poussaient les bananes même pendant le Carême
Mais ils sont arrivés bardés d’intolérances
Pour chasser en apôtres d’autres intolérances
Car ils ont inventé la chasse aux Albigeois
La chasse aux infidèles et la chasse à ceux-là
La chasse aux singes sages qui n’aiment pas chasser
Et c’est depuis lors qu’ils sont civilisés
Les singes les singes les singes de mon quartier
Les singes les singes les singes de mon quartier

Avant eux l’homme était un prince
La femme une princesse l’amour une province
Mais ils sont arrivés le prince est un mendiant
La province se meurt la princesse se vend
Car ils ont inventé l’amour qui est un péché
L’amour qui est une affaire le marché aux pucelles
Le droit de courte-cuisse et les mères maquerelles
Et c’est depuis lors qu’ils sont civilisés
Les singes les singes les singes de mon quartier
Les singes les singes les singes de mon quartier

Avant eux il y avait paix sur terre
Quand pour dix éléphants il n’y avait qu’un militaire
Mais ils sont arrivés et c’est à coups de bâtons
Que la raison d’État a chassé la raison
Car ils ont inventé le fer à empaler
Et la chambre à gaz et la chaise électrique
Et la bombe au napalm et la bombe atomique
Et c’est depuis lors qu’ils sont civilisés
Les singes les singes les singes de mon quartier
Les singes les singes les singes de mon quartier

 


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